Il y a quelques jours, nous nous sommes assis pour dîner dans notre restaurant préféré. C’était l’une des premières fois que nous y mangions depuis la fin de confinement. Le vin du mois proposé par le patron provient d’une région de France très familière pour Anne-Sophie.
Le lieu d’origine de ce vin est Castelnau, un village de la région de Montpellier. Anne-Sophie y a souvent passé ses vacances dans sa jeunesse. Quand j’ai bu ce vin, il serait exagéré de dire que j’ai été transporté dans cette région, mais il est certain que j’ai ressenti une connexion avec les lieux.
En ce temps de Covid-19, nous nous sommes habitués à bien des voyages imaginaires. Même si les frontières commencent à rouvrir en Europe, un sentiment très angoissant demeure. Nous lisons chaque jour que de nouveaux foyers de l’épidémie apparaissent en Allemagne ou en Espagne, où il faut à nouveau imposer des mesures de quarantaine. Même s’il est désormais possible de voyager au-delà des frontières, nous ne prévoyons pas encore de nous déplacer hors de Belgique et encore moins de nous rendre dans mon pays d’origine, les États-Unis.
Nous devons nous familiariser avec l’idée d’un monde aux horizons plus restreints que celui que nous avons connu ces dernières années. Après la fin de la guerre froide, la réouverture de l’Europe de l’Est, et aidés par des vols moins chers, nous nous sommes habitués à la possibilité de voyager presque sans limites. Nous ne savons pas encore quand ce monde reviendra.
Récemment, il est devenu plus nécessaire que jamais de s’habituer à des voyages virtuels, que ce soit par le biais de vidéoconférences ou la visite d’expositions ou de musées par internet. Les livres et la cuisine font également partie des moyens de voyage virtuels à notre disposition.
Je suis en train de lire le classique de Stefan Zweig « Le Monde d’Hier. Souvenirs d’un Européen » en version anglaise. La description de son voyage en Russie en 1928 m’a profondément touché. Il y explique qu’il traverse des paysages russes pour la première fois, mais qu’ils ne lui sont pas étrangers. Pourquoi ? Tout simplement grâce aux chefs-d’œuvre de la littérature russe.
En ce temps de Covid-19, nous ne pouvons plus physiquement voyager partout dans le monde, mais nous pouvons manger des plats ou lire des ouvrages nous transportant dans des endroits plus ou moins lointains. Nous devons l’accepter. Mais je pense que cela nous apporte deux consolations.
L’une est liée à Stefan Zweig. Il y a 90 ans, il n’était pas normal de se déplacer beaucoup. On voyageait plutôt par les livres. La situation que nous vivons actuellement est plus normale dans l’histoire de l’humanité que la situation précédant directement le Covid-19.
L’autre est que presque personne ne peut visiter tous les pays du monde. Nous n’avons ni le temps ni l’argent pour cela. Même si Castelnau n’est pas très loin de Bruxelles, il est possible que nous ne nous y rendions jamais car nous pourrions choisir d’autres endroits dans la région comme Céret, Perpignan, ou Collioure.
Aujourd’hui, nous devons accepter qu’il nous est uniquement possible de visiter de nombreux de pays, voisins comme la France ou à l’autre bout du monde, que par l’imagination, par les films, par les expositions virtuelles, par les livres, et, si nous avons de la chance, aussi par le vin.
Essay by Todd Buell, Picture by Anne-Sophie Hombert