Une nouvelle normalité… Vraiment ?

 

Un regard teinté d’une certaine dose d’humour sur quelques moments de la journée en mode « nouvelle normalité ». Largement inspirés de faits vécus…

8 h 57. La tension monte. La première réunion commence dans trois minutes. Mon café fume. Trop chaud, je ne peux le boire au risque de me brûler. Mes doigts s’enflamment d’impatience, paralysés par une attente interminable. Un message se détache sur fond bleu, accompagné d’un pictogramme. Un sablier bien particulier dont le sable ne s’écoule pas. En lieu et place, l’écran égrène des chiffres… 95 %, 98 %, 87 %… retour en arrière… 9 h 02… je suis en retard. Vite, vite, j’attrape mon portable. Refrain désormais connu : « mise à jour de l’ordinateur en cours, je rejoins le call dès que possible ». 99 %. J’avale une gorgée de café. Acre, refroidi. L’effet télétravail. Pression permanente, plus le temps de rien. Les gestes les plus communs se perdent pour laisser place aux douleurs de dos et autres causées par une position assise prolongée. Fébrilement, j’ouvre le programme mail et recherche le code d’accès. Pourvu que je ne me trompe pas en le tapant, sinon je serai exclue de la réunion. Sécurisation excessive, agaçante.9h13. Me voilà connectée. Personne n’est là. Une fenêtre s’affiche « réunion annulée faute de participants ».

18 h. Mon portable vibre. Je m’en saisis. Notification d’un message. Pour le lire, il me faut le précieux sésame. Je gratifie l’engin de mon plus beau sourire. Il refuse obstinément de me reconnaître. Mes lunettes ? Une mèche de cheveux devant les yeux ? J’essaie différents angles, me recoiffe. Rien n’y fait. Me voilà sommée d’entrer mon code secret… Ultra-sécurisé qu’ils disent… 25 caractères, chiffres, lettres, majuscules, minuscules, symboles. Évidemment, il est exclu de le noter sur un post-it collé au dos du portable. Sécurité toujours. Mince… je m’aperçois que je ne me souviens plus du mot de passe… la reconnaissance faciale, c’est trop pratique, mais… ça tue la mémoire. Moment de panique. Bon sang, mais c’est bien sûr… j’ai enregistré le mot de passe dans mon password manager ultra-sécurisé… mais il y a un hic… sans reconnaissance faciale, je ne peux y accéder… 18 h 37… je contemple mon portable désormais inutile. Jamais je ne pourrai lire le message apparu 37 minutes plus tôt…

Agacée, épuisée je quitte ma chaise. 10 heures sans pause, je suis fourbue. J’annonce à mon compagnon « je ferme la boutique ». Et je me souviens que tous les jours, à 18 heures, depuis le début du confinement, j’ai programmé une alarme « retour à la maison » sur mon portable. Tel était le mystérieux message.

Lundi soir un peu après 19 h. La sonnette retentit. Nous sommes affamés. La boîte magique nous est enfin livrée. Précautionneusement, nous la déposons sur la table de la cuisine. Nous avons hâte de découvrir les surprises de la semaine. Coup du sort… le cutter a disparu… où a-t-il pu se glisser ? Les estomacs gargouillent. Pas le temps de chercher. Je saisis une paire de ciseaux et découpe le papier collant. Dans la grande boîte, quantité de boîtes plus petites. Légumes inconnus, odeurs mêlées. Tout est frais, bio, de grande qualité selon les descriptifs. Producteurs locaux.
Rituel déballage. Tout sortir et chercher les dates de péremption, méthode la plus sûre pour établir la séquence des menus de la semaine. Les surprises s’enchaînent. Myrtilles en provenance du Chili… mmmh pas très local… dates de péremption trop proches… d’ici demain, il nous faudrait préparer quatre menus pour ne pas laisser la précieuse nourriture périssable dépérir… À propos de menus… où sont les recettes ? Nous les extirpons du fond de la boîte, partiellement illisibles à cause de l’humidité générée par la salade… Nous nous regardons, dépités par notre premier contact avec la miraculeuse boîte nourriture… nous décidons néanmoins de persévérer. La fiche indique un temps de préparation et de cuisson total de 25 minutes. Ouf. Nous nous attelons à la tâche. Éplucher des navets durcis, rechercher les condiments, gérer une pièce de viande dégoulinant de sang… à 23 h 30, nous dégustons enfin un bœuf bourguignon maison peu goûtu. C’est décidé, demain, nous retournons au take-away.

 

Anne-Sophie